- ESTHÉTIQUE - Les catégories esthétiques
- ESTHÉTIQUE - Les catégories esthétiquesLe terme de catégories esthétiques date de la fin du XIXe siècle et s’est largement répandu au XXe, mais la notion qu’il recouvre est de toutes les époques, sous des désignations variées (modifications du beau, espèces esthétiques, etc.). On peut citer comme exemples de ces catégories le tragique, l’épique, le comique, le dramatique, le gracieux, le joli, le mystérieux, le pathétique, le pittoresque, l’humour, le bouffon, etc.Est catégorie esthétique toute entité qui réunit les caractères suivants: un abstrait affectif, c’est-à-dire le type, l’essence d’une impression émotionnelle ou sentimentale sui generis ; une disposition objective interne des éléments de l’œuvre d’art, en interaction organique, et constituant l’ensemble des exigences nécessaires pour que la réaction affective se produise; un genre d’idéal visé par l’œuvre, ce qui permet de porter sur elle des jugements de valeur et d’estimer sa réussite selon qu’elle s’approche plus ou moins de l’idéal cherché; enfin, la possibilité de se retrouver dans tous les arts, qu’ils soient plastiques, musicaux, littéraires, etc.Chaque grande époque de l’art et de la littérature a généralement été marquée par l’apparition de nouvelles catégories esthétiques et d’une nouvelle forme de sensibilité à ces catégories. Mais les variations de cette sensibilité dépendent tout autant du caractère de chacun que de l’influence de l’époque et de l’éducation. Et d’ailleurs, l’ouverture à des catégories esthétiques diverses dénote une sensibilité esthétique libérée des bornes étroites de la donnée historique ou des contingences des goûts individuels.L’esthéticien qui étudie une catégorie esthétique ne se limite pas à l’analyse de son essence et des conditions pour y être sensible: il la situe aussi par rapport aux catégories voisines et en indique les relations possibles.1. Historique de la notion et du termeSi on peut la faire remonter jusqu’à la théorie de l’ 兀嗀礼益兀 礼晴﨎晴見 (hèdonè oikéia , plaisir propre), au chapitre XIV de la Poétique d’Aristote, ou à toute la tradition de comparaison entre beau et sublime issue du pseudo-Longin, la notion de catégorie esthétique, sous le nom de modification du beau , commence surtout sa carrière au XVIIIe siècle avec Diderot et Kant.Cette carrière s’amplifie vite dans l’esthétique allemande du XIXe siècle, imprégnée de kantisme: F. T. Vischer, M. Schasler étudient le beau, le sublime, le tragique, le pathétique, le merveilleux, le comique, le grotesque, le charmant, le gracieux, le joli, le mignon, sous le nom de formes ou espèces , groupées en sphères ; de son côté, K. F. Rosenkranz étend le terme kantien de catégorie au domaine esthétique, mais il ne s’agit pas encore de catégories esthétiques au sens actuel (Rosenkranz parle de «juger selon la catégorie du beau» au sens de porter un jugement de valeur d’ordre esthétique, par opposition à ce que l’on appellerait aujourd’hui un jugement anesthétique; c’est ainsi que, pour lui, c’est bien juger un objet selon la catégorie du beau que le déclarer laid).Tout ce mouvement aboutit à la création de l’expression de catégorie esthétique par Victor Basch dans son Essai critique sur l’esthétique de Kant (1896). Le terme y est employé épisodiquement, et comme synonyme de modification du beau .Le nouveau terme lancé par V. Basch rencontre alors une grande fortune dans le vaste mouvement de l’esthétique française au XXe siècle. Successivement, C. Lalo (à qui l’on attribue quelquefois par erreur l’invention du terme mais qui en a certainement assuré le succès), É. Souriau, R. Bayer, M. Dufrenne font un large emploi du terme et des études approfondies de la notion. Adoptée par les esthéticiens de langue anglaise et allemande, l’expression se répand dans le vocabulaire international de l’esthétique et en vient à supplanter à peu près complètement le terme de modification du beau , qui fait aujourd’hui figure d’archaïsme.Parallèlement à ce mouvement de la pensée occidentale, la pensée orientale avait rencontré très tôt cette notion. Le rasa (saveur) des esthéticiens de l’Inde classique est analogue à la catégorie esthétique des Européens; mais un rasa est surtout une catégorie esthétique telle que le théâtre la met en œuvre.Si l’analyse de catégories esthétiques est une des grandes tâches des esthéticiens, qu’est-ce donc qu’une telle catégorie?2. Nature des catégories esthétiquesL’éthosLa catégorie se saisit d’abord dans l’expérience esthétique comme une impression affective (émotionnelle ou sentimentale) éprouvée intimement par le contemplateur de l’œuvre d’art. C’est la raison pour laquelle M. Dufrenne, dans sa Phénoménologie de l’expérience esthétique , parle de «catégories affectives». Ressentie nécessairement dans l’âme d’un sujet, elle a donc, à ce titre, un aspect subjectif.Cette réaction affective est spécialisée. Chaque catégorie a sa saveur propre. Le poétique ne se confond pas avec le satirique, ni le tragique avec le spirituel. Face au premier, on éprouve une impression d’élévation, prenante, douce, un peu éthérée, non sans quelque alanguissement; avec le second, on se moque, mais d’une manière combative, avec un rire qui a quelque chose de la morsure; avec le troisième, on ressent terreur et pitié par sympathie avec une résistance à un broiement qu’on sait inéluctable; dans le dernier, on vit une sorte d’allégresse intellectuelle, où l’on jouit d’un dynamisme à la fois léger et d’une exacte précision. Et même des catégories très proches, voire des nuances d’une même impression générale, gardent leur individualité propre et irréductible: on ne sent pas de la même manière un gracieux en sobre élégance, un gracieux en suavité, un gracieux en préciosité ou un gracieux en mignardise.Le terme d’éthos désigne actuellement une ambiance affective de qualité sui generis : une catégorie esthétique est donc d’abord un éthos.Mais bien des œuvres peuvent participer d’un même éthos; combien de tragédies ne cherchent-elles pas la catégorie du tragique? Et quand bien même il n’y aurait qu’une seule œuvre au monde à relever d’une catégorie rare, le nombre de celles qui pourraient l’y rejoindre est indéfini. La catégorie esthétique est donc un abstrait affectif de caractère générique.En outre, celui qui ressent l’éthos peut être non seulement le contemplateur de l’œuvre (spectateur, auditeur...), mais aussi son auteur. Pourtant, la catégorie esthétique est bien un effet de l’œuvre; mais ici, c’est un effet anticipé et cherché comme but.Le système des forces structuréesLa catégorie esthétique n’est pas uniquement subjective: une œuvre n’est pas comique parce qu’on rit ou dramatique parce qu’on tremble; on tremble parce qu’elle est dramatique et on rit parce qu’elle est comique. On a bien souvent remarqué la nécessité d’une analyse de l’œuvre elle-même pour expliquer le type d’abstrait affectif qu’elle fait ressentir.Quelques exemples le rendront plus sensible. Le joli suppose une sorte de continuité souple dans laquelle les oppositions possibles à l’intérieur de l’œuvre sont exclusives de toute rencontre brutale ou heurtée; il suppose aussi une certaine perfection du détail: appelle-t-on joli l’arrangement en grandes masses de matériaux frustes? Si le joli est en jeu surtout dans le petit, le magnifique, lui, exige la grandeur (et l’étymologie même l’indique); pourrait-on admettre un magnifique mignon? De plus, il veut une certaine profusion, une certaine splendeur et un certain éclat. Le hiératique est une catégorie du statisme et ne saurait être emporté ou tumultueux; mais il donne une apparence sensible à un au-delà-du-sensible dont la valeur sacrée transparaît manifestement en lui; son immobilité est immuable comme éternité.L’analyse distingue donc des composants dans chaque catégorie esthétique; mais il faut se garder d’y voir une simple addition ou juxtaposition. Les composants sont entre eux en interaction organique, et l’œuvre est le siège de tout un système de forces qui contribuent à lui donner une essence à la fois complexe et une .Tout cela représente bien des caractéristiques de l’œuvre elle-même; ces éléments objectifs provoquent l’impression affective et lui sont nécessaires.Idéal permettant des jugements de valeurQuand les conditions nécessaires ne sont pas remplies, l’œuvre échoue à faire naître l’effet désiré par l’artiste; il est à cet égard instructif d’étudier les œuvres manquées et médiocres: on voit quelles exigences elles n’ont pas su satisfaire. Le système d’exigences définit un type de valeur esthétique à quoi l’on peut se référer pour juger l’œuvre.Le grotesque, par exemple, est une sorte de comique caractérisé par l’exagération de certains éléments et par une distorsion des formes qui échappent à l’organisation normale des êtres ou des choses pour se plier à une organisation plus décorative ayant avec la première des rencontres inattendues dans la coïncidence ou le contraste. S’il manque cette exagération, on peut obtenir d’autres nuances de comique, mais on échouera dans la poursuite du grotesque, et l’œuvre qui en visait l’idée sera manquée.Le bouffon, quelque peu voisin du grotesque par ce grossissement des effets comiques, exige en outre une certaine légèreté qui donne un côté de jeu et de badinerie à des ampleurs soufflées; celui qui ne peut s’arracher à l’esprit de lourdeur est impuissant à exprimer pleinement le bouffon.Les catégories esthétiques sont plus ou moins difficiles à mettre en œuvre, mais toutes sont susceptibles d’une réussite totale. Un mélodrame parfaitement mélodramatique vaut mieux qu’une tragédie plate et sans vrai tragique. À certains égards, Le Vampire d’Alexandre Dumas atteint une sorte de sublime dans le fantastique mélodramatique; comme le film Drôle de drame de Marcel Carné atteint un sublime du comique et les statuettes de Tanagra un sublime du joli.Une ambiguïté de vocabulaire a pu d’ailleurs le masquer, et a donné lieu aux discussions du romantisme naissant sur la notion de beau. C’est que les termes de beau et de sublime ont pris chacun deux sens distincts, dont la confusion risque d’engendrer bien des méprises. Le terme de beau peut désigner la valeur esthétique et celui de sublime l’intensité de cette valeur ; en ce sens, il peut y avoir une beauté ou un sublime du grotesque, du monstrueux, du joli, du mignon. Mais les termes de beau et de sublime peuvent désigner aussi des catégories esthétiques, l’une qui recherche une noblesse, une grandeur, pures et stables, l’autre qui œuvre en dynamisme dans une élévation au-delà de l’humain. Le beau, catégorie esthétique, est alors une «modification du beau» (selon le vocabulaire des XVIIIe et XIXe siècles), en prenant beau au sens de valeur esthétique (première signification du terme), et modification non pas au sens de changement ou dénaturation, mais au sens scolastique de spécification selon un mode. Peut-être l’inconvénient d’avoir un seul mot pour deux notions est-il une des causes pour lesquelles les termes de beau et de modification du beau sont tombés dans quelque défaveur et ont été remplacés assez largement, dans l’esthétique moderne, par les termes de valeur esthétique et de catégorie esthétique.Donc, l’idée connue par l’analyse de ses éléments subjectifs et objectifs permet un jugement de valeur motivé sur les œuvres, selon qu’elles répondent ou non aux exigences de leur incarnation; mais tous les arts ont-ils les mêmes relations avec ces catégories?Possibilités ouvertes à tous les artsLe dernier aspect de la catégorie esthétique, c’est qu’elle peut être mise en œuvre, avec des ressources techniques différentes, par tous les arts.Le fantastique, par exemple, se rencontre aussi bien dans des œuvres littéraires comme Ligeia d’Edgar Poe ou Le Diable amoureux de Cazotte que dans des œuvres musicales comme la Symphonie fantastique de Berlioz et des œuvres plastiques comme tant de Tentation de saint Antoine (Grünewald, Salvator Rosa ou Salvador Dali); Victor Hugo peut aussi bien exprimer le fantastique par le vers ou par la prose que par le dessin à la plume ou le lavis.Les matériaux employés par chacun des arts sont susceptibles de traitements analogues malgré leur diversité intrinsèque. Il y a un gracieux plastique, obtenu par l’emploi de courbes souples, continues et simples, qui semblent tracées d’un geste aisé, ou dans des surfaces lisses et délicatement modelées, ou dans des couleurs douces et nuancées; il y a un gracieux chorégraphique dans des mouvements harmonieux, sans effort apparent, sans heurts, et légers; il y a un gracieux musical dans de fraîches mélodies; il y a un gracieux littéraire dans des phrases naturelles et simples.3. La sensibilité aux catégories esthétiquesMais artistes et amateurs ne se refuseraient-ils pas quelquefois à certaines catégories esthétiques? On peut se demander si ces catégories ne poseraient pas encore des conditions, non plus à leur existence, mais à leur reconnaissance par l’homme; si elles n’auraient pas des exigences non plus vis-à-vis de l’œuvre, mais vis-à-vis des créateurs et du public, pour pouvoir en être senties, comprises ou goûtées.Les conditions caractérologiquesDe nombreuses études ont bien été faites, qui, partant de ce donné que sont les œuvres ou de cet autre donné que sont les documents et témoignages permettant de connaître la personnalité de tel ou tel artiste, ont cherché le rapport entre ce qu’ils ont été et ce qu’ils ont fait (ou n’ont pas fait); car ce n’est point par un simple hasard que celui-ci ou celui-là a cultivé le fantastique, ou l’épique, ou le satirique, ou le comique, ou y est resté réfractaire. On a pris aussi le problème sous un aspect collectif, remarquant que les grands mouvements artistiques ou littéraires ont été souvent marqués par la présence de plusieurs créateurs ayant des manières de penser ou de sentir assez analogues. Mais il y a encore tout un champ d’étude ouvert pour une recherche en sens inverse, partant de la notion de catégorie esthétique: étant donné telle catégorie esthétique, quels sont les esprits capables de la mettre en œuvre ou de l’apprécier?Victor Hugo, par exemple, a bien – pour employer l’expression de Voltaire – la «tête épique», alors que Voltaire lui-même, malgré La Henriade , ne l’a pas; Delacroix peut être épique en peinture, etc. Qu’est-ce alors qu’avoir la «tête épique»? Il y faut un sens de la grandeur, un goût de la tension et du mouvement, car l’épique n’a rien d’une grandeur statique (aussi les esprits doux et calmes, ou délicatement sensibles, ou las, ne sont-ils pas aptes à l’épique; ils peuvent réussir dans certaines catégories voisines, mais qui n’exigent pas le même dynamisme, comme le pathétique; c’est ainsi le cas du R m yana de Tuls 稜 D s, qui est, très consciemment et explicitement, une transposition en pathétique de ce que V lm 稜ki avait réalisé en épique, c’est-à-dire un retournement de l’épique vu en passion et non en action). Mais une grandeur dynamique peut avoir un dépouillement qui n’en fait plus exactement de l’épique; il y a dans l’épique une profusion et une richesse d’éléments distincts et individualisés. Cela excluerait de l’épique ceux qui redoutent les œuvres littéraires à nombreux personnages, parce qu’ils s’y perdent. Et cependant l’épique a aussi, paradoxalement, une vision des choses simple, voire simplifiée; la multiplicité s’y dispose en grandes masses (souvent par oppositions). Il faut donc, pour avoir la «tête épique», disposer d’un esprit synthétique et vigoureusement net.L’influence socialeUne tendance sociologisante et historicisante développée depuis le milieu du XIXe siècle a souvent fait chercher si les conditions de vie d’une époque ne pouvaient pas orienter la sensibilité esthétique de cette époque dans certaines directions, soit directement, soit par un mécanisme de compensation . Mais ici, la recherche n’a encore été faite que dans un seul sens, partant d’une époque pour aller vers une forme de sensibilité; une contre-épreuve utile prendrait le problème en sens inverse, à titre de vérification. Quand on voit, en effet, expliquer la floraison des catégories de la grâce paisible et raffinée, à telle époque, par le fait que ceux qui les cultivaient y goûtaient la douceur de vivre et appartenaient à des classes privilégiées menant une vie facile et polie, et, à telle autre époque, par le fait que ceux qui les cultivaient souffraient d’une vie instable, pénible, sans sécurité et de mœurs grossières, on peut se demander si, lorsqu’un même effet peut être relié à des causes aussi différentes, ces causes sont tellement déterminantes.Bien souvent, des catégories esthétiques sont d’ailleurs appréciées par conformisme; lancées par de grands initiateurs, elles fournissent de commodes modèles affectifs à ceux qui ne sauraient pas trop quels sentiments éprouver et comment les éprouver. Aussi compose-t-on des œuvres relevant de telle catégorie, ou bien s’en dit-on admirateur, parce que «ça se fait».Enfin, l’éducation peut rendre sensible à des catégories esthétiques en en montrant souvent des exemples dans des œuvres artistiques ou littéraires importantes. La familiarité avec ces œuvres permet d’en mieux apprécier l’éthos, car l’incompréhension est souvent une réaction d’inadaptation devant l’inhabituel.La libération de la sensibilité esthétiqueL’éducation qui met en contact avec de grandes œuvres ne donne d’exemples que pour des catégories esthétiques déjà existantes. Serait-ce une entrave à l’invention de nouvelles catégories esthétiques? On l’a parfois craint; mais ce n’est à redouter que d’une éducation trop étroite et restreinte. Au contraire, une éducation bien comprise et assez vaste devrait réussir à libérer la sensibilité esthétique des bornes du donné social et du caractère individuel. Il est d’ailleurs des esprits «libéres et bien nés» que leur indépendance naturelle ouvre à toute catégorie esthétique. Innée ou acquise, c’est cette ouverture d’esprit que peignait M. Dufrenne dans sa formule frappante: «C’est avoir du goût que de n’avoir pas de goûts.»4. Les interrelations des catégories esthétiquesLa possibilité d’inventer toujours de nouvelles catégories explique l’évolution du problème traditionnel de leur classification. Au XIXe et au début du XXe siècle, on en a dressé des tableaux qui en limitaient et voulaient en arrêter définitivement le nombre; les auteurs plus récents ont cherché des principes de classification plus souples et, surtout, qui permettent à leurs tableaux de s’élargir indéfiniment (ainsi est conçu, par exemple, le tableau en roue d’É. Souriau dans son article Art et vérité ).Le désir de classification répond à ce fait d’expérience que plusieurs catégories peuvent avoir un ou plusieurs points communs, ou s’opposer par rapport à un même caractère que l’une implique et l’autre exclut. Par sa grandeur, notée plus haut, l’épique rejoint le noble, le beau, le tragique, et s’oppose au joli et au mignon; dynamique, l’épique rejoint le dramatique ou le mélodramatique, ou même la vis comica de drôleries tumultueuses, et répugne aux beautés calmes; multiple et foisonnant, il refuse les dépouillements austères.Certaines catégories apparaissent donc comme antithétiques, d’autres comme voisines; certaines sont des espèces de genres plus vastes, quand elles se définissent par les mêmes caractères que les catégories genres auxquelles s’ajoutent de nouveaux traits. D’autres peuvent se combiner; d’autres se recoupent.Mais le nombre des points sur lesquels les catégories esthétiques peuvent se rejoindre ou se disjoindre est infini, et les catégories esthétiques ne se définissent pas toutes dans les mêmes zones de l’être. Grandeur et petitesse, par exemple, sont indifférentes au comique: il y a du comique fin, du comique gros et, même, du comique énorme. Deux catégories qui n’ont aucun point de définition commun peuvent exister séparément ou se cumuler: il existe ainsi du dramatique mystérieux, du dramatique non mystérieux, du mystérieux non dramatique (et, bien sûr, du ni-dramatique-ni-mystérieux). Le naïf et le tragique sont totalement indépendants l’un de l’autre; n’est-ce point leur curieuse alliance qui donne sa valeur à ce petit chef-d’œuvre de Charles Nodier, Histoire du chien de Brisquet ?Chaque catégorie se situe donc dans un réseau d’interrelations complexes et toujours extensibles, qui offre un champ d’action infini à l’invention de l’artiste et à la réflexion de l’esthéticien.
Encyclopédie Universelle. 2012.